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L'histoire en mots.
4 juin 2013

Vivre l'horreur du World Trade Center

Jenny Johns, secrétaire dans la Tour Nord au 95ème étage.

Mariée, mère d’un enfant du nom de Carrie.

 

 

11/09/2001 à partir de 8h46

J’étais tranquillement installée dans mon fauteuil. Je répondais au téléphone, comme tous les matins, et j’aidais Mme Donovan à organiser son planning de la journée. Tout était normal mais en quelques secondes, toute l’atmosphère du bureau changea. Il était donc 8h46 quand ma vie bascula. Je ne saurais vous dire comment j’ai réagis à ce moment, je dus être prise de panique comme les autres, mais mon premier réflexe fut d’aller me positionner sous une table, pour me protéger de chaque danger éventuel. Cette réaction m’a d’ailleurs sûrement sauvé la vie, et je ne le réalisais que quelques minutes plus tard, quand l’aile du Boeing fut stoppée et quand je pus enfin me relever, en voyant le chaos dans lequel j’étais à présent. Cette atmosphère matinale de travail, de joie, était devenue ce que je croyais être la pire scène d’horreur que j’avais vu de ma vie. Il y avait presque tout le monde qui était à terre, il faisait pratiquement totalement noir mais j’entendais quelqu’un respirer et reprendre ses esprits à côté de moi. C’était ma patronne, Mme Donovan. Je l’aidais à se relever puis nous descendions toutes les deux les escaliers une fois arrivé à la porte de ces derniers. Nous nous dépêchions de descendre, bravant les incendies à certains étages. J’entendais des cris à pratiquement tous les étages que nous dépassions.

 

9h58

Nous étions arrivées au 50ème étage, après en avoir descendu quelques quarante-cinq, à présent. L’atmosphère qui y demeurait était presque inchangée par rapport à celle qui s’y trouvait d’ordinaire, sauf qu’il n’y avait plus personne. Je me demandais ce qui était arrivé à ceux qui se trouvaient au dessus de mon étage d’origine, puis secouais la tête à cette idée en me disant qu’ils devaient sûrement avoir été pris au piège. D’ailleurs, j’avais cru que tout allait s’effondrer après avoir entendu le même impact violent seulement environ un quart d’heure après le notre. Je croyais que c’était un deuxième sur cette Tour mais il semblerait que c’était sur la jumelle de celle-ci puisque nous tenions encore debout. J’étais paniquée mais j’essayais de relativiser ; tant que cette tour tenait debout tout irait bien. Malheureusement, je pensais trop vite et seulement une minute après avoir essayé de rejoindre la cage d’ascenseur, pensant qu’à partir de cet étage tout irait mieux, l’atmosphère restant inchangée, tout s’écroula. Il était presque 10h quand je crus mourir.

 

12h30

Je ne sentais plus rien ; ni mes bras, ni mes jambes, ni mon cœur battre, ni mes poumons inspirer et expirer, ni même la douleur. Je n’entendais plus rien. Je ne voyais plus rien. Je pense que j’étais inconsciente puisque je n’avais plus aucuns sens en éveil. Je sentais des choses sur moi mais je ne savais pas quoi. Où étais-je ? Je ne savais pas, je ne me souvenais que de ces horribles bruits pareil à du tonnerre qui s’étaient répétés à deux reprises et de cette atmosphère qui avait changée du tout au tout en quelques secondes. Ca avait été horrible. Que se passait-il ? Etions-nous attaqués ou alors était-ce simplement un problème venant des tours jumelles. J’espérais que ce ne soit pas une attaque sur tout le territoire américain, ne sachant pas où se trouvaient John et Carrie. J’avais peur pour eux, ils étaient toute ma vie. Je les aimais tant... Il fallait que je me réveille maintenant, pour eux. Je me forçais à ouvrir les yeux mais rien n’y faisait, je n’y arrivais pas. Pourtant il le fallait. En ne pensant qu’à eux, encore et encore, puis j’y réussis. Il faisait très sombre et il y avait plein de poussière partout. Je regardais doucement autour de moi. Le silence était pesant et je n’entendais rien. J’essayais de bouger la main mais n’y réussit pas. Redressant la nuque doucement je regardais dans sa direction ; j’avais un bloc de béton sur la main et puis complètement sur mes jambes à partir de mes cuisses. De ma main libre, j’essayais de le retirer, en vain. Je cherchais à tâtons près de moi pour trouver quelque chose qui m’aiderait à me libérer mais tout ce que je touchais était une veste de tailleur. Je regardais dans la direction de ce qui était au bout de ma main et lâchas un cri effroyable, les larmes me montant aux yeux ; c’était Mme Donovan, ma patronne, et elle était morte. Comment pouvais-je en avoir la certitude ? Parce qu’il y avait du sang partout autour d’elle et que son expression aurait pu glacer un esquimau. Je tournais en vitesse ma tête de l’autre côté ; de celui où il n’y avait personne. Le plafond était à présent relativement bas et il n’y avait qu’une trentaine de centimètres entre lui et moi. Comment une matinée de travail comme les autres avait-elle pu tourner au cauchemar en quelques heures ? J’étais en vie, oui, mais comment allais-je réussir à me sortir de là ? Ce serait très compliqué et seule je n’y arriverais jamais. Il allait donc falloir que j’attende ici. J’avais également perdu toute notion du temps. Quelle heure était-il ? Je n’en avais aucune idée. Que s’était-il passé après que j’avais essayé de rejoindre cet ascenseur ? Je ne le savais pas plus mais de toute évidence l’immeuble entier s’était écroulé. J’avais une multitude de question qui me traversait l’esprit mais à qui les poser ? J’étais seule à présent, et j’allais sûrement mourir ici.

 

13h00

J’avais faim, oh oui, j’avais très faim, et peu à peu la douleur de cette plaque de béton sur mes jambes se faisait ressentir, vive et tranchante. On aurait presque pu dire qu’une multitude de lames de rasoir me rentrant dans les jambes de tous les côtés, et encore, je ne suis même pas sûre que ça ferait aussi mal. Ma main était toujours bloquée mais j’en avais besoin, ne serait-ce que pour recouvrir le visage de Mme Donovan, effrayant. Je tirais un peu dessus, ça me faisait mal. Mais peu importait la douleur, il fallait que je le fasse, que j’y résiste, et surtout que je sorte d’ici ; que je survive pour ma fille et pour mon mari. Je tirais encore, forçant ma main à sortir de là-dessous. J’y étais presque. Je tirais toujours, bougeant mes doigts pour la faire sortir complètement. Un deuxième cri me secoua lorsque je vis son état ; des
morceaux de chair pendaient et il y avait du sang, beaucoup de sang. J’enlevais alors ma veste afin d’en déchirer un morceau de tissus qui se trouvait dans la partir intérieure et d’enrouler ma main dedans. Avec le reste de ma veste, je recouvris le visage horrifiant de ma patronne. Je redressais entièrement mon buste afin d’essayer de soulever le bloc de pierre mais rien n’y faisait, je n’étais pas assez forte pour ça. Si personne ne m’aidait, alors je resterais coincée ici. Et qui m’aiderait ? Il n’y avait personne de vivant autour de moi. Autant dire que j’allais mourir ici, comme ça. Je secouais la tête, je me refusais de croire cela. Moi qui avais tant de projets, j’aurais voulu faire tant de chose. Verrais-je grandir ma fille ? Là était la question qui me préoccupait le plus. Allais-je donc mourir dans un effondrement d’immeuble ? Certainement pas, ce n’était pas ce que je voulais. Je rêvais d’une mort rapide, allongée dans mon lit. Mourir dans son sommeil, c’était sûrement la plus belle mort. Au moins, on peut mourir tranquille, dans le rêve où notre imagination nous aura menés.

 

16h25

Quelle heure était-il ? Je n’en avais aucune idée et ne pouvais pas en avoir. Combien de temps s’était écoulé entre l’heure à laquelle l’immeuble n’avait plus résisté à la pression du choc et celle où j’étais là, affamée et assoiffée, à attendre que quelque chose me libère du poids du béton ? Depuis combien de temps déjà attendais-je ? J’entendais des cris résonner depuis des heures mais je n’avais pas la force de crier à mon tour. De toute façon, ça servait sûrement à rien puisque si les secours n’étaient pas près de moi, jamais ils ne me retrouveraient. Mais j’avais l’espoir. Je me revoyais, un jour plus tôt, rentrer tard du travail. Mon mari m’avait fait une petite scène parce que je n’avais pas pu voir ma fille de la journée ni passer du temps avec elle. Si jamais j’arrivais à sortir d’ici, la première chose que je ferais serait de m’excuser auprès de mon mari et de ma fille. Ces derniers temps, j’avais trop fait passer mon travail avant ma famille, et aujourd’hui je le regrettais amèrement ; et si jamais je n’avais pas le temps de leur dire que j’étais désolée ? Et si jamais je mourais avant de pouvoir le faire ? Je m’en voudrais énormément, enfin techniquement je ne pourrais pas vraiment m’en vouloir puisque je ne pourrais plus penser, étant morte. Je devais chasser ces idées de ma tête, il fallait que je positive. Non, je ne mourais pas ici, pas comme ça ! Non, je ne le voulais pas et je ferais tout pour que ce ne soit pas le cas ! J’allais vivre, longtemps encore, je pourrais voir ma fille grandir et profiter de chaque instant de sa vie à ses côtés. A son mariage ? J’y serais, il fallait que je m’en fasse la promesse, pour tenir. Et puis John. Je mourais avec lui, lorsque le moment sera venu, lorsque nous serons assez vieux pour que la faucheuse nous prenne, ensemble.

 

18h30

Penser m’épuisait et me tuait lentement. Il fallait que j’arrête pour pouvoir m’en sortir, que je taise mes pensées. Je m’étais déjà évanouie trois fois en quelques heures, ou du moins en ce que je pensais être des heures. Si ça se trouve ça n’avait été que des secondes ou du minutes ? Comment pouvais-je savoir ? Les cris autour de moi cessaient peu à peu. Etait-ce parce que les gens n’en avaient plus la force, parce qu’on était venu les chercher ou - la raison la plus effrayante - parce qu’ils étaient tous morts ? D’un côté je ne voulais pas le savoir, ou du moins, si c’était la dernière solution, je préférais ne pas le savoir. Puis, tout à coup, j’entendis le bruit d’un marteau-piqueur qui, j’avais l’impression, était proche de moi. Et quelques temps plus tard, un chien aboya, encore plus proche de moi que le marteau-piqueur. Je me mis alors à crier, y mettant les dernières forces qu’il me restait. Quelques secondes plus tard, je vis une puis deux puis trois lumières près de moi. « Madame ? » demanda une voix qui m’était inconnue, « Je suis ici ! » répondis-je tout en levant le bras. Ils se dirigèrent vers moi en se parlant entre eux à propos du bloc de béton. L’un d’entre eux s’en alla et l’autre sortit une trousse de secours afin de m’examiner, bandant ma main meurtrie. Le troisième se dirigea vers le corps de Mme Donovan. Lorsqu’il souleva la veste que j’avais mise sur son visage, il eut un air effrayé et une forte odeur de cadavre s’en dégagea. Celui qui était partit revint avec un lapidaire « Bon Madame, nous allons couper le bloc de béton. Dans peu de temps à présent vous serez enfin libre. Après, nous nous chargerons de vous faire sortir d’ici et nous vous emmèneront à l’hôpital. Quel est votre nom ? » «  Je m’appelle Jenny Johns. Je suis, enfin j’étais, secrétaire au 95ème étage. » Je leur fis ma biographie, avec un peu de mal tout de même, pour qu’ils puissent bien savoir qui j’étais. Il sortit son talkie-walkie et donna mon nom ainsi que mon poste à quelqu’un, ajoutant au passage qu’il allait falloir un brancard et très vite. « Deux » ajouta celui qui était à côté du corps sans vie de ma patronne en désignant ce dernier. L’autre le regarda puis rectifia. J’allais enfin sortir de ce trou. J’avais tenu des heures ainsi, impossible de dire combien mais je savais très bien que j’aurais pu mourir comme des milliers d’autres personnes. Une demi-heure plus tard, le brancard arrivait tant bien que mal et une fois dessus, un chemin long et tortueux s’ouvrait à nous. C’était difficile de circuler parmi les décombres mais une dizaine de minutes plus tard, j’étais enfin sortie de cette horreur.

 

 

J’avais vraiment vu ma vie défiler dans cette horreur. J’avais eu peur de ne plus jamais revoir ma fille et mon mari, mais aujourd’hui je suis auprès d’eux. J’ai promis à mon mari de ne plus travailler dans un grand immeuble. On peut dire que cette expérience nous a tous enrichis. A présent, nous sommes plus proches les uns des autres que jamais. Cette histoire nous a permit de nous rendre compte de la joie que nous avions d’être les uns avec les autres.

Par Charlotte C.

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